Introduction
« «Nous mettons en péril notre avenir» : 15.000 scientifiques alertent sur l’état de la planète » (LeFigaro, 13/11/17), « Avertissement de plus de 15.000 scientifiques face à la dégradation de la planète » (Europe1, 13/11/17), « Le cri d’alarme de quinze mille scientifiques sur l’état de la planète » (LeMonde, 13/11/17) », « Plus de 15 000 scientifiques lancent un ultime avertissement à l’humanité qui court à sa perte » (notre-planete.com, 14/11/17), « Du jamais-vu: 15 000 scientifiques s’unissent face à la dégradation de la planète » (letemps.ch, 13/11/17). Tels sont les gros titres parus ces derniers jours sur la toile et dans les journaux. Nous allons alors tenter ici de décortiquer l’« avertissement des scientifiques du monde à l’humanité : deuxième appel »
Un appel qui fait suite à l’appel de 1992
En 1992, l’Union of Concerned Scientists a lancé son premier appel, l’Avertissement des scientifiques du monde à l’humanité » (le World Scientists’ Warning to Humanity), quant à la situation de dégradation de l’environnement. Avec 1 700 signataires du monde scientifique, un avertissement est entendu « un grand changement dans notre gestion de la Terre et la vie sur celle-ci est exigé, si une énorme misère humaine doit être évitée » (« a great change in our stewardship of the Earth and the life on it is required, if vast human misery is to be avoided. »). C’est dans un contexte de grands questionnements sur le développement durable et la protection de l’environnement que cet appel est lancé. Une période marquée par le sommet de la Terre à Rio de Janeiro, connue également sous le nom de conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement, durant lequel les enjeux liés au développement durable sont discutés et des dispositifs sont adoptés dans ce sens.
C’est le lundi 13 novembre 2017 qu’est publié l’« avertissement des scientifiques du monde à l’humanité : deuxième appel » (le World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice) qui a rassemblé une communauté de 15364 scientifiques signataires provenant de 184 pays différents. Ce second avertissement, publié dans la revue Bioscience de l’American Institue of Biological Science, confirme les inquiétudes qui planent sur l’environnement mondial depuis plusieurs dizaines d’années. Ainsi, la presse s’est saisie de l’information qui a été massivement diffusée, au moment même du déroulement de la COP 23 de Bonn qui s’est déroulée du 6 au 17 novembre 2017.
Entre mise en garde et propositions : le contenu de l’article d’Union of Concerned Scientists
L’article publié par l’Union of Concerned Scientists fait d’abord un rappel sur les problématiques qui ont poussé les scientifiques à lancer un premier appel en 1992. L’objectif de l’avertissement de 2017 reste le même que celui de 1992 : faire pression sur la sphère politique pour que des mesures lourdes et efficaces soient prises et mises en œuvre. Les mesures en place sont dénoncées comme étant insuffisantes : « l’humanité a échoué à faire des progrès suffisants dans la résolution de ces défis environnementaux, de façon alarmante, la majeure partie d’entre eux [les indicateurs] régressent » (« humanity has failed to make sufficient progress in generally solving these foreseen environmental challenges, and alarmingly, most of them are getting far worse »). Pour eux, il est impératif de faire pression pour que les gouvernements prennent conscience de l’urgence et considèrent les enjeux environnementaux comme des « impératifs moraux » à la fois pour les générations actuelles et les générations futures. C’est dans une idée de plaidoyer que les scientifiques ont apporté des preuves sous forme de données chiffrées en utilisant les mêmes indicateurs que ceux d’il y a 25 ans.
Une alerte qui s’appuie sur l’étude de 9 indicateurs de l’état de l’environnement

source : Ripple et al, 2017
Le code couleur du document propose une lecture qui compare la période 1960-1992 (en gris clair) et la période 1992-2016 (en gris foncé). Pour cette lecture, faisons attention à l’ordre de grandeur en ordonnée qui n’est pas le même d’un graphique à l’autre afin d’éviter les erreurs de lecture et d’interprétation. Il est constitué de 9 graphiques indépendants :
a. Les émissions des gaz halogènes facteurs de destruction de l’ozone stratosphérique
b. Quantité d’eau potable disponible par personne en m3
c. Nombre de tonnes de poissons pêchées en millions de tonnes
d. Nombre de régions affectées par des « zone morte » maritime (des espaces hypoxiques c’est-à-dire déficitaire en oxygène dissous)
e. Surface forestière en millions d’hectares
f. Le pourcentage d’espèces vertébrées
g. Les émissions de CO²
h. La variation de température en degrés Celsius
i. Variation de la population humaine et du bétail en million
Sur 9 indicateurs, un seul a des résultats encourageants : la réduction du trou dans la couche d’ozone stratosphérique. Cet indicateur, montre une diminution significative notamment liée à des politiques publiques efficaces sur cette question. Nous pourrions aussi citer l’indicateur à propos des « zones mortes » maritimes comme positif puisque leur nombre diminue depuis 1992, néanmoins les régions touchées restent en grand nombre. Les autres indicateurs sont effectivement alarmants : une disponibilité en eau douce divisée par 2 depuis 1960, les limites d’une pêche soutenable dépassées depuis 1992, la déforestation, les extinctions d’espèces vertébrées et les émissions de CO² qui s’accentuent, des températures qui ne cessent d’augmenter (les effets des accords de Paris signés lors de la COP 21 étant impatiemment attendus) tout comme la population mondiale.
Des propositions pour opérer une transition vers un mode de vie plus durable
Les auteurs abordent les avancées qui ont eu lieu depuis 1992, en les jugeant insuffisantes. Ainsi, de nombreuses propositions, pour mener « l’humanité » vers un mode de vie respectueux de l’environnement, sont énumérées pour accélérer le processus de protection de l’environnement. Ces propositions ne sont pas toujours cohérentes avec les modes de vie actuels et ont déjà fait l’objet de débats et critiques antérieurs. Un recul critique vis-à-vis de cette argumentation est alors à garder à l’esprit.
Ces propositions sont au nombre de 13 :
- « Créer des réserves bien financées et bien gérées d’une proportion significative des habitats terrestres, marins, d’eau douce, et aériens ;
- Maintenir les services écosystémiques en arrêtant la destruction de forêts, prairies et autres habitats naturels ;
- Restaurer les communautés végétales primaires (native) notamment les forêts ;
- Repeupler les écosystèmes avec des espèces indigènes de faune sauvage, en particulier les prédateurs de fin de chaîne alimentaire, pour restaurer les processus et les dynamiques écologiques ;
- Élaborer et adopter des instruments politiques adéquats pour remédier à la défaunation, à la crise du braconnage et à l’exploitation et au trafic des espèces menacées ;
- Réduire le gaspillage alimentaire grâce à une meilleure éducation et une meilleure infrastructure ;
- Promouvoir une transition alimentaire vers des alimentations principalement végétales ;
- Poursuivre la réduction des taux de fécondité en assurant aux femmes et aux hommes l’accès à l’éducation et aux services de planning familial volontaire, notamment là où ils font encore défaut ;
- Accentuer l’éducation des enfants à la nature et à l’environnement extérieur, ainsi que l’engagement global de la société dans l’attention portée à la nature ;
- Réorienter les investissements monétaires et réduire la consommation pour entraîner un changement environnemental positif ;
- Financer et promouvoir les nouvelles technologies vertes et adopter massivement les sources d’énergie renouvelable tout en interrompant les subventions à la production d’énergie issue de sources fossiles ;
- Réviser notre économie pour réduire les inégalités de santé et s’assurer que les prix, la fiscalité et les systèmes d’incitation prennent en compte les coûts réels que nos modèles de consommation imposent à notre environnement ;
- Et estimer une taille de population humaine scientifiquement défendable et soutenable à long terme, en rassemblant les nations et leurs dirigeants autour de cet objectif vital. »
(Traduction, depuis l’article original, de http://geoconfluences.ens-lyon.fr)
Conclusion
L’état actuel de dégradation de notre environnement est arrivé à un stade exceptionnel menant à des contestations d’ampleur exceptionnelle comme c’est le cas de ce rassemblement de scientifiques. Les enjeux sont connus, les risques encourus aussi, pourtant il n’y a de cesse de retarder la mise en place de dispositifs efficaces et d’en demander toujours plus à notre planète qui s’essouffle d’années en années. Néanmoins, cet avertissement n’est finalement pas destiné qu’aux décideurs politiques, chaque membre d’une société peut se sentir viser et agir en faveur du recul de la dégradation de l’environnement. Une prise de conscience générale de l’état de la planète et une ambiance propice au changement est de rigueur pour freiner ce phénomène que certains qualifient de 6ème grande extinction.
Sources :
RENARD Camille, 14 novembre 2017, « Alerte de 15 000 scientifiques : leurs 9 indicateurs de dégradation de la planète analysés », France Culture ; URL:https://www.franceculture.fr/environnement/alerte-de-15000-scientifiques-leurs-9-indicateurs-de-degradation-de-la-planete-analyses
Géoconfluences, 15 novembre 2017, « 15 000 scientifiques alertent sur l’état de l’environnement mondial » ; URL:http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/15000scientifiques-cri-d-alarme
LeMonde, 13 novembre 2017, « Le cri d’alarme de quinze mille scientifiques sur l’état de la planète »
URL :http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/le-cri-d-alarme-de-quinze-mille-scientifiques-sur-l-etat-de-la-planete_5214185_3244.html#vRBcPwKb743fugYC.99
RIPPLE et al, octobre 2017, « World Scientists’ Warning to Humanity : A Second Notice », Bio Sciences ; URL: http://scientistswarning.forestry.oregonstate.edu/sites/sw/files/Warning_article_with_supp_11-13-17.pdf