Toute l’intelligence artificielle du monde ne suffira pas à ce qu’une voiture devienne pleinement autonome. Elle doit aussi disposer d’une cartographie ultra précise mise à jour en temps réel afin de rouler sans assistance humaine. Les entreprises qui récoltent les données clés pour la voiture autonome ont bien compris la valeur commerciale de cette base d’informations.
C’est un pari onéreux qu’a fait le constructeur allemand, associé à BMW et Audi, en rachetant la société Here à Nokia en août 2015. En mettant plus de 3 milliards de dollars dans cette société spécialisée dans la cartographie routière de précision, le conglomérat misait sur l’avenir et venait se placer en compétiteur direct de géants du marché comme Apple, Amazon, Uber ou Facebook qui réfléchissent activement à cette question.
La technologie de détection laser de l’environnement, qui équipe et guide les voitures autonomes et semi-autonomes, n’est pas totalement fiable. Il suffit par exemple d’une séquence pluvieuse sur une route ou d’un reflet trop prononcé pour que le véhicule ne comprenne plus sa position. C’est d’ailleurs ce dysfonctionnement qui est à l’origine de l’accident mortel d’une Tesla en Floride en mai 2016.
Les voitures sont de plus en plus intelligentes (analyse de panneaux de signalisation d’images, prise de décision en fonction de l’environnement, du code de la route et de la sécurité, assistance à la conduite…). Mais pour se déplacer en totale autonomie, elles doivent s’appuyer sur une batterie de capteurs (LIDAR, sonars, capteurs à ultrasons, caméras vidéo…) qui, tous, enregistrent des données autour de la voiture. Données qui seront interprétées par l’intelligence artificielle et comparées avec la cartographie embarquée. Cette cartographie n’est cependant pas celle des assistants GPS tels que nous connaissons et dont la précision avoisine quelques mètres. Dans le cas de la voiture autonome, la marge d’erreur ne doit pas excéder la vingtaine de centimètres ! On peut donc parler de cartographie HD.
Sans cartographie HD, pas de voiture autonome
Sans cartographie précise, quelles que soient les technologies coûteuses dont on l’équipe, la voiture autonome resterait démunie. C’est pourquoi les constructeurs automobiles collaborent depuis plusieurs années avec les spécialistes de la cartographie, au même titre qu’avec les équipementiers. La cartographie est devenue le nerf de la guerre, et cette course à la carte constitue aussi l’occasion de s’affranchir d’un acteur omniprésent : Google. À travers ses services Maps et Street View, le géant de Mountain View ne cesse de récolter des données cartographiques, mais aussi des données sur les profils des individus (leurs déplacements, habitudes, lieux préférés…). D’où l’intérêt, pour les constructeurs européens, de pouvoir compter sur des acteurs solides de la cartographie : TomTom (HD Map) et Here (HD Live Map).
Mises à jour perpétuelles
La cartographie HD ne peut se contenter des mises à jour classiques que connaissent nos assistants routiers actuels, en général quatre fois par an. En voiture autonome, le service doit être opérationnel et actualisé en temps réel, 24h/24, 7j/7. Le véhicule autonome doit être capable de se géolocaliser, mais doit aussi être informé du moindre événement qui surviendrait sur la route pour anticiper et réagir au plus vite. Cela implique que tous les véhicules, toutes marques confondues, puissent échanger et valider des données entre eux en passant par un cloud. Cette communication voiture à voiture (V2V), mais aussi avec les infrastructures (V2X), doit être complètement transparente entre les différents acteurs du secteur de la cartographie. TomTom a d’ailleurs annoncé lors du dernier CES 2018 à Las Vegas un nouveau service baptisé AutoStream, grâce auquel la voiture autonome peut télécharger en temps réel les dernières données cartographiques depuis le cloud pour s’assurer d’avoir la carte la plus récente.
Ces mises à jour en temps réel ne seront pas possibles sans le réseau 5G, loué pour sa vitesse, sa qualité de service et sa faible latence. Here d’ailleurs a récemment signé des partenariats avec des opérateurs téléphoniques comme SK Telecom et Vodafone. Certes, la 5G n’entrera pas en service avant 2020-2022, mais ce n’est pas problématique car la voiture pleinement autonome n’arrivera que bien après cette échéance.
Pour disposer d’une cartographie la plus à jour possible, les constructeurs pourront aussi combiner les données de localisation avec celles collectées par les capteurs intégrés aux voitures autonomes en circulation (LIDAR, radars, cameras, capteurs à ultrasons…). C’est ce que compte faire TomTom en collaborant avec Zenuity, le spécialiste de la conduite autonome et des ADAS (aides à la conduite) appartenant à Volvo Cars et Autoliv. Ensemble, les deux entités proposeront le logiciel de conduite autonome « Connected Roadview ». Sa mission ? Aider à ce que les véhicules équipés puissent mieux appréhender « la géométrie de la route« , en sachant par exemple gérer et doser les freinages à l’entrée des virages, ou offrir une « assistance continue à la direction » lorsque les marquages au sol sont effacés ou usés par le temps.
Le géant Qualcomm a lui aussi compris tout l’intérêt d’une cartographie extrêmement précise. Bien qu’il ne soit pas spécialisé dans la cartographie, cela ne l’empêche pas de collaborer avec TomTom en mettant à disposition sa plateforme de données Qualcomm Drive. L’objectif est, là encore, de récolter et d’analyser les données collectées par les différents capteurs embarqués dans les véhicules en les couplant à des technologies de positionnement par satellites (ou GNSS, Global Navigation Satellite System). Le tout sera ensuite fusionné avec la cartographie HD Map signée TomTom afin d’obtenir une « précision globale inférieure au mètre« .
Selon Overbeek, les données seront même contextuelles et personnalisées pour le conducteur : « Si c’est le matin et que le pilote est amateur de croissant, les boulangeries s’afficheront sur le chemin. » C’est donc une stratégie plus large qui s’éloigne fondamentalement de celle de la construction automobile. Une stratégie nouvelle que Mercedes expérimente et dans laquelle elle investit beaucoup.
A plusieurs reprises, est par exemple évoquée la possibilité de visionner, sur un écran dans la voiture, les œuvres d’art du Louvre. « La voiture va devenir le troisième espace de vie, après le domicile et le travail : il faut occuper cet espace, vous pourrez vous y relaxer, vous divertir… vous pourrez faire plein de chose dans votre voiture puisque vous ne conduisez plus », explique M. Overbeek.