Coral Cities : la visualisation des réseaux de villes du monde en coraux vivants


Parlons peu parlons bien, parlons dataviz et coraux

A l’heure où les données numériques se multiplient de manière exponentielle, la visualisation des données est une pratique que l’on observe partout, aussi bien dans les journaux que sur internet.

Souvent située entre la science et l’art, la data visualisation, dite dataviz, est un puissant outil de communication. Certains la voient comme la description des statistiques. D’autres comme une technique de communication reposant sur un langage informatique transformant des données en objets visuels. Elle permet en effet la représentation graphique des données, en 2D ou 3D, grâce à un ensemble de méthodes. Le représentation visuelle d’informations est permise par un traitement particulier d’analyse de données, identifiant les éléments pertinents. La data visualisation conduit à la production de travaux de plus en plus originaux, innovants et artistiques. Cependant la data visualisation ne doit pas faire primer l’esthétisme sur l’information. Une visualisation efficace doit permettre d’analyser et de comprendre une donnée.

La data visualisation, une conceptualisation des données ?

Alors fermez les yeux. Imaginez que vous ouvrez ArcMap, Qgis, ou MapInfo… votre logiciel SIG habituel. 

Vous souhaitez étudier la forme urbaine de votre ville. Vous affichez le réseau des routes de votre ville. Et celui des infrastructures. Vos couches se superposent, et vous ne voyez plus grand chose. Alors, vous faites des sélections, des géotraitements, afin de tenter de donner une forme à vos données. Vous prenez du recul, essayez de trouver une perspective. Vous ne voyez pas à quoi cela pourrait ressembler.

Craig Taylor en revanche, lui, a su imaginer des coraux. Manager en data visualisation et design, une de ses spécialités est notamment de combiner une ou des analyses spatiales à une représentation graphique pour produire des cartes innovantes et convaincantes.

Taylor s’est tout d’abord penché sur les formes urbaines des grandes villes du monde. Il a remarqué la variété des formes, bien qu’un point commun tout de même parmi elles. Ces formes sont toutes dictées par les réseaux qui composent les villes.

Les coraux, des villes du monde-sous marin ?

De la même manière que les villes, les coraux ont des formes très variées. Animaux marins caractérisés par un squelette calcaire, leur diversité résulte des polypes qui les constituent. Chaque espèce de polype sécrète son propre exosquelette, ce qui donne par la suite la forme général du récif corallien.

Source : L’Express DZ (2018)

Les coraux ont d’autant plus la caractéristiques de contribuer à la construction de leur environnement. Ils constituent également à eux-mêmes un lieu d’habitation pour un certain nombres d’autres espèces. De la même manière qu’un réseau fonctionne de manière systémique, les coraux apportent de véritables services écosystémiques.

Ainsi, les réseaux, comme les coraux, ont donc une disposition dans l’espace, une forme, un modèle, et une fonction. C’est sur ces modèles que Taylor s’est penché, en tentant d’en faire une véritable représentation conceptuelle. Il s’agissait donc de représenter les villes en coraux vivants.

 

Modèle de ville – Modèles de coraux

Taylor s’est d’abord attaché à représenter un nombre important de coraux. Il s’est ensuite appliqué à la cartographie, en analysant puis en animant les modèles créés.

Ainsi, la visualisation attendue devait permettre de pouvoir reconstruire la forme urbaine de la ville grâce à l’expansion progressive des réseaux.

Taylor a choisi de se concentrer sur les quarante villes les plus “vivables” du monde. Sa sélection a été effectuée grâce à un classement proposée par Mercer(1). Le classement qu’elle a proposé est du même type que celui délivré annuellement par The Economist Intelligence Unit(2). Les villes les plus “vivables”, soit agréables à vivre, sont définies par un indice d’habitabilité dont les facteurs sont aussi variés que les suivants : politiques, économiques, sanitaires, environnementaux, sécuritaires ou encore liés au niveau d’éducation.  

A partir des villes retenues, Taylor a alors choisi d’identifier une mesure à représenter. Il s’est interrogé sur la question des mobilités au sein d’une ville. Quelle est la facilité pour les habitants de se déplacer en ville ?

En partant du centre-ville, il a donc calculé jusqu’où un automobiliste pourrait voyager pendant trente minutes, sans qu’il n’y ait de trafic.

Cartographier les villes-coraux : quelle méthode ?

Pour permettre la cartographie, Taylor a utilisé les couches géographiques des réseaux disponibles sur OpenStreetMap, à la fois des villes et de leurs périphéries. En utilisant un système d’itinéraire (en l’occurrence celui d’ItoWorld), il a donc pu sélectionner les portions de réseaux permettant de définir une circonscription du centre-ville à l’espace de conduite.

Afin de pouvoir transformer l’aire irrégulière découpée en un modèle 3D, des valeurs ont été attribuées. A chaque sommet correspond la valeur de la distance parcourue depuis le centre-ville. De cette manière, les liens du réseau deviennent pondérés et il est possible de créer la forme grandissante du corail.

De plus, à chaque lien a été attribué un poids. Taylor a choisi de représenter le poids d’une branche en fonction du nombre total de ses liens.

Ainsi, plus les branches auront un poids élevé, plus le réseau sera épais, et plus l’apparence du corail sera visible.

Puisque tirées de l’analyse spatiale, les modèles de coraux créés possèdent en eux des informations. Afin de renforcer l’animation visuelle du modèle, Taylor a opté pour l’application d’un gradient de couleurs. Cela traduit l’accroissement de la distance depuis le centre-ville.

Quelques remarques

On remarque que les caractéristiques physiques des villes apparaissent bien sur les modèles de coraux. Cela montre l’impact que les espaces naturels ont sur les réseaux :  elles peuvent être, d’une part, des barrière à l’extension des réseaux, mais d’autre part une explication à la forme d’un modèle, plus largement et géographiquement, d’un réseau urbain. 

sources : Captures d’écran – Coral Cities on https://towardsdatascience.com/ – Google maps

Cette représentation géo-artistique des réseaux de villes en coraux vivants dénote une nouvelle fois des belles réalisations que permettent les outils de programmation, de traitement des données, d’analyse spatiale et de cartographie dans la représentation des données géographiques.

L’information livrée par la représentation en forme de corail est donc liée au transport, et révèle l’étendue maximale du réseau. Elle est une perspective sur la manière dont on se déplace dans les grandes villes du monde, où chaque branche constitue une artère du réseau routier. Bien entendue, la vision offerte par le corail est optimiste. On imagine bien la forme des coraux rétrécir en cas d’embouteillages, voire la suppression de branches en raison d’artères bouchées qui empêcheraient l’extension du corail. D’ailleurs, Taylor a testé également effectué quelques modèles de coraux en temps de congestion afin de pouvoir observer les différences entre modèles.

Avant de conclure…

Sources : Sciences et Avenir (2008)

Cette data visualisation est l’opportunité par ailleurs de rappeler que les populations de coraux se dégradent à grande vitesse. Cela s’explique par le réchauffement climatique, la pollution… et la surpêche. Ces facteurs ont entraîné la découverte de plus de vingt maladies touchant l’espèce.

D’ici 2030, plus de 50% des espèces risquent d’être détruites, alors même que 10% sont déjà mortes et que 60% de celles qui subsistent actuellement sont en danger. Cette situation de crise écologique est liée au réchauffement des eaux de surface, à la montée de la mer, à l’acidification des océans et de l’augmentation croissante des émissions de gaz-à-effet de serre.

Faire de nos réseaux des coraux est finalement une jolie métaphore pour vous rappeler que notre planète est fragile, et qu’on ne peut que répéter qu’il faut la préserver.

 

(1) : Mercer est le plus grand cabinet de conseil en ressources humaines au monde

(2) : The Economist Intelligence Unit est une entreprise indépendante de The Economist Group, connue pour les nombreux rapports qu’elle promulgue tous les ans à des pays, industries ou des entreprises. Pour plus d’infos sur l’indice d’habitabilité  : http://www.eiu.com/topic/liveability


Bibliographie