Ces GPS qui réduisent notre vision du monde


« L’important arrive, non pas au terme de la route, mais bien avant, pendant le trajet lui-même. » Milorad Pavic

 

C’est une notion que nous avons tendance à mettre de côté avec notre utilisation de plus en plus importante des systèmes de navigation satellitaires (GPS). En effet, ceux-ci nous permettent aisément de nous déplacer d’un point A à un point B de la façon la plus rapide et la plus efficace possible. Cependant, via cette utilisation et une visualisation linéaire du déplacement, ne perdons-nous pas nos possibilités d’expérimenter le monde qui nous entoure et notre capacité à nous repérer dans le monde réel ?

 

Pour chaque personne, une même zone sera habitée et vécue de différentes façons. Un point d’intérêt étant une notion extrêmement subjective, ce qui apporte une plus-value à un trajet peut réellement varier d’une personne à une autre. Dans ce contexte-là, nous pouvons nous poser la question de la pertinence des trajets définis par nos applications de navigation. Celles-ci calculent et incitent à effectuer des trajets identiques pour tous les utilisateurs, et sont basées uniquement sur des notions d’efficacité et de rapidité. Mais en limitant notre vision à celle des GPS et en suivant une ligne toute tracée, ne perd-on pas notre capacité à nous repérer dans l’espace ? Par ailleurs, de nombreuses études montrent que les trajets que nous effectuons font appel à tous nos sens qui nous transmettent un sentiment positif ou négatif. Ces outils de navigation ne viennent-il donc pas limiter notre accès à un environnement qui pourrait améliorer notre bien-être personnel ?

Quel est notre niveau d’interaction avec notre environnement ?

Pour essayer d’apporter des éléments de réponse à cette question, McCullough et Collins (2018) ont récemment publié une étude réalisée avec 18 participants de 18 à 24 ans. Chaque groupe de 3 personnes devait effectuer un trajet jusqu’à une station de bus dans 3 villes qui leurs étaient inconnues. Le premier de ces trajets s’effectuait avec un GPS, le second avec une carte papier et le troisième sans aucune aide technique (en « aveugle »). Par la suite, un entretien avec chaque participant permettait d’évaluer leur ressenti sur chacun des trajets et de visualiser ce qu’ils avaient retenus de leurs trajets grâce à la réalisation d’une carte les représentant.

Représentation des trajets effectués par deux participants

La première chose notable dans les résultats de cette étude est que l’impact de chaque technologie est clairement visible sur chaque carte :

  • Trajet avec GPS :
    • Les participants ont eu tendance à tracer simplement des rues avec quelques virages pour représenter leur trajet. Il est à noter également que très peu de points d’intérêts étaient représentés autour de ces rues : 176 en moyenne comparés à 262 avec une carte papier et 233 pour les circuits « en aveugle ».
  • Trajets « en aveugle » :
    • Les points d’intérêts entourant le trajet correspondent entre autres aux personnes interrogées lors du parcours. Nous retrouvons ainsi des indications telles que les ponts et les restaurants servant de points de repère. Par ailleurs ces cartes schématisées présentent une image subjective de la vision « logique » d’une ville par chaque participant. En effet, la plupart ont instinctivement commencé à aller en centre-ville, là où se trouvent la plupart des gares.
  • Trajets avec une carte papier :
    • Ces trajets ont donné lieu aux représentations les plus complètes. Chacun s’est créé un trajet suivant ses intérêts, ne suivant pas forcément le chemin le plus court. De nombreux points d’intérêts ont été relevés sur le trajet et hors de celui-ci. Les participants ont montré une vision beaucoup plus globale du territoire et ont pu déterminer le trajet qui leur convenait personnellement.

 

L’appréciation des trajets varient également beaucoup suivant le type d’outil utilisé, opposant les cartes papiers et les applications GPS. Le ressenti est extrêmement positif sur le trajet avec la carte papier, du fait de l’interaction avec l’environnement et la possibilité de choisir de façon active ce que nous voulons observer. Cependant, ces cartes sont jugées encombrantes et anciennes, et les participants ne souhaitaient pas utiliser ces outils même si cela représentait l’expérience la plus agréable. À contrario, l’utilisation du GPS était ressentie comme monotone, avec des trajets suivis moins en accord avec la sensibilité de chacun. Mais à nouveau, c’est la simplicité d’accès aux informations qui rentre en compte dans le choix des participants et qui fait du GPS l’outil le plus plébiscité malgré ses défauts. On peut ainsi se demander si nous n’avons pas tendance à choisir les outils que nous utilisons pour leur facilité d’utilisation, et cela même si nous le faisons au détriment de notre bien-être.

 

Pour une utilisation continue, les outils de navigation peuvent impacter sur notre sentiment de bien-être de façon non négligeable en nous donnant une image négative de notre environnement et en nous coupant de la réalité qui nous entoure. Même si nos choix nous portent vers la facilité, des alternatives nous permettant d’être acteurs de nos trajets semblent essentielles. Et c’est à ce moment que le développement d’applications telles que le Géocaching montre toute son importance. Ces applications nous forcent en effet à observer le monde qui nous entoure et à interagir avec lui pour dépasser cette frontière numérique / réalité. Ces études montrent aussi l’importance de développer des outils nous permettant de faire des choix conscients de trajets, correspondant à nos centres d’intérêts et notre sensibilité. Au-delà de la notion de rapidité, il semble essentiel de combiner les atouts de la carte papier avec la praticité des GPS, pour pouvoir nous créer des parcours passant par le bord de mer, évitant une décharge et traversant un parc. Cela nous permettrait ainsi de combiner la facilité d’utilisation et l’amélioration de notre bien-être quotidien, tout en profitant du trajet sans se focaliser uniquement sur la destination.

 

Sources :

« How Does GPS Technology Affect Our Understanding of Place? » November 1, 2018, By Maps and Cartography, https://www.gislounge.com/gps-technology-affect-understanding-place/

« Using GPS and geo-narratives: a methodological approach for understanding and situating everyday green space encounters: Using GPS and geo-narratives. » Bell, S. L., Phoenix, C., Lovell, R., & Wheeler, B. W. (2015). Area, 47(1), 88–96. https://doi.org/10.1111/area.12152.

“Are we losing our way?” Navigational aids, socio-sensory way-finding and the spatial awareness of young adults. McCullough, D., & Collins, R. (2018).  Areahttps://doi.org/10.1111/area.12478.