Aujourd’hui, tout le monde utilise Internet. De la gamine de 5 ans à la grand-mère en passant par l’adolescent, la mère et le père, tous sont connectés. En effet, grâce à nos smartphones, tablettes et ordinateurs, regarder un film, envoyer des mails ou encore chatter sur les réseaux n’a jamais été aussi facile. Partout dans le monde, on assiste à une explosion du réseau Internet mobile, avec le sentiment que, toutes nos connexions se font de façon virtuelle, sans fil, sans raccord. La réalité, en est tout autre.
Pour que tous puissions avoir Internet pour regarder la dernière saison de ‟ Game of Thrones ”, il faut bien sûr des infrastructures. Des infrastructures, dans le ciel avec les satellites, des infrastructures sur terre que sont les data-center et surtout des infrastructures sous la mer. Alors certains se diront, des satellites dans l’espace, oui. Mais, que peut-il bien y avoir sous la mer ? Eh bien, tout simplement, des câbles, des kilomètres de câbles enfouis sous les eaux et qui permettent des connexions ultra-rapides entre les continents.
Contrairement aux idées reçues, les satellites ne jouent qu’un rôle infime dans la transmission des données Internet à travers le monde (seulement 0.37% des données sont gérées par les satellites). Ces câbles sont donc les principaux vecteurs de données (plus de 99% de la donnée transite via ces derniers). Il en existe 448 à ce jour (selon le centre de recherche Telegeography) qui parcourent le globe et génèrent des guerres d’influences, des tensions économiques et géopolitiques et nous rendent également vulnérables.
Comment ça marche ?
Les câbles sous-marins modernes utilisent la technologie de la fibre optique. Ces câbles hébergent un laser qui est envoyé, à une vitesse extrêmement rapide d’un récepteur à un autre situé à extrémité du câble. Ces fibres de verre on normalement la taille d’un cheveu mais sont enveloppées dans des couches de plastique (et parfois de fil d’acier) à fil assurer leur protection contre d’éventuelles agressions sous les mers. A partir d’un navire spécial, les câbles sont enterrés près des côtes et posés sur le plancher océanique sur des distances qui peuvent aller de 30 km (le câble entre Ulysse et Douvres) à 30000 km (pour les câbles transpacifiques).
Illustration d’une pose de câble par la société Orange Marine
Une brève analyse historique
Le premier câble sous-marin fut posé en 1851 entre Douvres et le Cap Gris-Nez. Ce câble télégraphique permettait aux bourses de Londres et de Paris de suivre les cours des deux côtés de la Manche. Ces câbles posés par bateau sont des accélérateurs de mutation économique.
En 1858 un premier câble relie l’Irlande à Terre-neuve en Amérique du Nord et leur nombre explose. En 1870 Londres et Bombay sont connectés, en 1900 on en trouve plus de 200 000 km et dès 1902 les premiers câbles transpacifiques reliant l’Australie et la Nouvelle-Zélande au Canada via les îles Fidji et Kiribati et la ligne San Francisco, Honolulu, Manille, Shanghai sont posés.
Pour gérer tous ces câbles, l’Union Télégraphique Internationale (UTI) est créée en 1865, renommé ensuite Union Internationale des télécommunications (UIT ou ITU en anglais). Sa mission était d’assurer l’interconnexion de tous ces réseaux nationaux et de répondre aux évolutions technologiques. Ce rôle de régulateur va prendre de plus en plus d’importance lorsqu’apparaît en 1956, TAT-1 le premier câble téléphonique et par la suite en 1988, TAT-8 le premier câble à fibre optique reliant les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni.
Le réseau de câbles sous-marin en 2018
La carte 2018 des câbles sous-marins dans le monde (source : Telegeography)
Cette carte ci-dessus est une représentation du réseau international de câbles sous-marin proposé par le centre de recherche Telegeography, référence en la matière. Elle nous présente l’ensemble du maillage mondial de façon très détaillé et parfaitement hiérarchisé. Souvent mise à jour, cette web-cartographie nous donne également la localisation des stations d’atterrissement qui servent de lieux d’acheminement et de redistribution des données.
On observe sur cette carte que les zones maritimes Atlantique Nord et Pacifique Nord sont celles les plus fournie. En effet, pour l’Atlantique Nord qui est la zone la plus quadrillé, il s’agit des câbles reliant l’Amérique du Nord à l’Europe. Et en ce qui concerne le Pacifique Nord il s’agit des câbles reliant les pays de l’Asie Pacifique entre eux mais surtout avec la côte ouest des Etats-Unis, plaque tournante de l’Internet avec la Silicon Valley en Californie.
La plupart des câbles relient donc Europe et Amérique du Nord ainsi qu’Europe et Asie (1989-1999) et s’y sont ajouté au fil des années l’Amérique du Sud (2000-2004), le moyen orient et l’Asie du sud-est (2005-2009) et enfin l’Afrique (2010-2017). On note des hubs de câbles à New-York, en cornouilles, à Marseille, aux émirats arabes unis, Bombay, Singapour, Hong-Kong ou encore sur la côte est du Japon.
Cartographie des câbles sous-marins dans le monde en 2014 (modifié par Yann KONAN)
Si cet immense réseau de câbles s’appuie sur les pôles majeurs, symbole de la mondialisation (grandes puissances et pays émergents), il utilise également des îles ou des archipels (tels La Réunion ou Maurice dans l’océan Indien, Hawaï ou les Philippines dans le Pacifique…) qui y jouent le rôle de relais.
NB : Il existe d’autre site qui diffuse les données concernant le réseau transocéanique de câbles sous-marin notamment networkatlas ou encore cablemap.
L’explosion et la croissance du réseau : un immense marché économique
Aujourd’hui, plus d’1.3 million de km traversent le globe, soit 32 fois le tour de la Terre. Il y a eu un premier pic de pose de câbles lors de l’explosion de la bulle Internet en 2000, et un deuxième se produit actuellement. En 2016, 27000 nouveaux kilomètres ont été posés et le triple en 2017. Alors qui contrôle ce marché annuel de près de 2 milliards de dollars ?
Alors qui contrôle ce marché de 2 milliards de dollars ? Eh bien, depuis les années 1990, ce sont quelques grands acteurs privés, le géant français ALCATEL SUBMARINE NETWORKS, l’américain TE SUBCOM et le japonais NEC. Mais ces dernières années d’autres groupes ont investi massivement dans ce secteur économique. Par exemple, le chinois Huawei ou encore le groupe indien Tata. Nous avons aussi, les fameuses GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et même d’autres fournisseurs de contenu web tels que Netflix.
Ils cherchent tous à étendre leur emprise sur le marché de l’Internet en installant leurs propres câbles. Il ne leur manquera ensuite que la fourniture d’accès, aujourd’hui encore aux mains des opérateurs téléphoniques pour contrôler plus tard l’ensemble de l’écosystème web.
Par ailleurs, Facebook et Microsoft ont déployé en septembre 2017, leur propre câble, le MAREA. Un câble de 6605 km reliant leurs data-center de Bilbao en Espagne à celui de Virginie. Avec une capacité de transport de données de 160 térabits par seconde soit les 3/4 du trafic internet actuel, ce câble est le puissant jamais installé à ce jour.
Câble MAREA vu du site telegeography
Une ressource fragile
Peu protégés, les câbles sont vulnérables. Vulnérables aux chaluts (filets de pêche), aux aléas naturels (tsunamis, tremblements de terre ou morsures de requin) et même aussi aux voleurs de cuivre. Toutes ces menaces provoquent environ une centaine de pannes par an. Ces pannes peuvent être à l’origine d’une paralysie des communications pendant de longs mois.
Des exemples marquant existent, comme celui du Vietnam, où en 2007, des pêcheurs ont coupé plus de 40 km de câble de fibre optique. Un deuxième exemple serait celui du tremblement de terre en 2006 au large de Taiwan. Celui-ci a sectionné plusieurs câbles, occasionnant la coupure de 120 millions de lignes téléphoniques en Asie de l’Est et bloquant ainsi temporairement les échanges bancaires et boursiers de la région.
Ainsi les grands opérateurs notamment le français Orange Marine, ont donc divisé le fond des océans en région pour pouvoir envoyer au plus vite, leurs navires réparer les dégâts. Les anciens câbles sont également remplacés par des câbles plus puissants, indispensables au bon fonctionnement d’Internet. En effet, les flux de données ne cessent d’augmenter et il faut sans cesse de plus en plus de puissance. Il circulait 100 Go de données par jour en 1992, autant en 1 seconde en 2002 contre 26600 Go en une seconde en 2016.
Carte découpage des zones de réparation Orange Marin (source ARTE)
Une histoire de géopolitique
Le 21ème siècle a consacré l’importance de ces câbles sous-marins pour transporter nos données et par la même occasion ils sont devenus un enjeu majeur de puissance.
En effet, qui contrôle les câbles, contrôle l’accès à l’information et qui contrôle l’information contrôle le monde. Cette phrase pourrait être tirée d’un James Bond mais n’en est pas moins vraie pour autant.
Prenons un exemple récent, celui du Cameroun. La partie anglophone du Cameroun est souvent considérée comme le poumon économique du pays. Cependant elle est aussi la région la moins bien pourvue en services publics. En effet, le pouvoir francophone ne s’en est jamais vraiment préoccupé. Et pour tenter de réprimer la colère montante des anglophones en 2017, Paul Biya président du Cameroun a tout simplement coupé l’accès à Internet. Cela, pendant 183 jours soit près de 6 mois. Sans d’Internet, pas de médiatisation, pas de mouvement, une formule simple et basique.
Mais peu importe le maître du câble si on est capable de l’espionner. C’était là l’enjeu des révélations en 2013 du lanceur d’alerte Edward Snowden. Il dénonçait l’utilisation par les services secrets américain, la NSA ,en collaboration avec ses homologues canadien, britannique, australien et néo-zélandais (les Five Eyes), de systèmes ultra discrets capables de copier les données transitant par les câbles.
Pour finir j’ai envie de vous parler d’un nouveau câble qui nous emmène au Brésil, son nom « ELLALink ». L’idée d’ELLA-Link, c’est d’abord de relier directement l’Europe à l’Amérique du Sud évitant ainsi l’hégémonie américaine. Mais, c’est surtout de travailler sur un nouveau modèle de gouvernance de câble sous-marin.
Comment ? En réservant une partie du trafic de ce câble pour des laboratoires scientifiques et des ONG menant des activités d’intérêt public. Oui, parce qu’au fond la question est peut-être là. Ne faudrait-il pas désormais considérer ces câbles comme un bien public mondial ?
Câble EllaLink vu du site telegeography