Une carte = Une vision unique du monde


Les cartes ! De nos jours, il en existe de tout type pour nous montrer une multitude d’informations : des cartes papiers ou numériques, statiques ou interactives. Elles permettent de se repérer dans l’espace, de connaître le niveau de déconfinement de notre département, la météo ou encore dans quelle région se trouve le meilleur vin. Il y a des cartes pour absolument tout montrer de manière synthétique, accessible et colorée. Cependant, quelles données se cachent derrière ces couleurs qui semblent prôner une vérité objective, impartiale et indiscutable ? Quand certaines cartes affirment pouvoir découper le monde selon le niveau de Q.I des habitants, comment les données sont-elles obtenues, homogénéisées, vérifiées ? 

 

La carte, retour sur les définitions

Sur Veille Carto 2.0, nous présentons une multitude de cartes différentes au format papier, numérique, collaborative On essaye sur ce site de présenter toutes les manières de cartographier le monde. Il suffit d’arriver sur la page d’accueil du site pour se rendre compte de l’étendue des sujets qu’on peut cartographier. En revenant sur la définition générale d’une carte proposée par HyperGéo, une carte, c’est une « représentation de tout ou une partie de la surface terrestre, sur un support plan » (Palsky, 2020). Autrement dit, une carte est une partie du territoire que le cartographe choisit de présenter aux yeux des lecteurs. Mark Monmier va jusqu’à déclarer en 1993 qu’« une carte donnée quelle qu’elle soit, n’est jamais que l’une des innombrables cartes que l’on pourrait dresser à partir de la même situation et des même paramètres ». 

Cette approche de la carte par les définitions cherche à montrer la subjectivité d’une carte, car il s’agit au final du résultat de plusieurs choix successif du cartographe. 

Des choix de représentation qui réduisent certains continents

Généralement, au moment de la création d’une carte on commence par choisir un fond de carte, c’est-à-dire le support sur lequel vont apparaître les informations. Mais le seul moyen de représenter, la planète Terre qui est en un volume (3D) sur surface plane (2D) est d’user de projection et de simplification. Dans son article « Une nouvelle carte du monde dans les écoles à Boston » publié sur Veille Carto 2.0 Clémence Laforêt revient sur les conséquences de ce premier choix. En effet, choisir une projection c’est choisir de conserver les angles (projection conforme), les surfaces (projection équivalente) ou ni l’un ni l’autre (projection aphylactique) et assumer les déformations qui en découlent. 

Le choix de la projection se fait sur la base de l’utilité de la carte, ainsi les cartes maritimes ayant besoin d’angles exactes pour se repérer utiliseront des cartes de projection conforme. Cependant, il se peut que ce choix serve à justifier une position politique et une vision du monde précise. Ainsi, en comparant la carte du monde  de Mercator (conforme) et celle de Gall-Peters (équivalente) il est facile de voir que sur la carte de Mercator, la plus utilisé dans le monde scolaire français, l’Afrique et l’Amérique du Sud ont  une surface bien inférieure à la réalité surfacique présentée par la carte de Gall-Peters

Carte du monde selon Mercator

Carte du monde selon Gall-Peters

Un choix qui soutient une idéologie

Cette volonté de généraliser une carte appuyant la puissance de l’Occident n’est pas anodine, mais découle du paradigme racial issu du XIXe siècle. En effet, suite aux publications de Charles Darwin, les savants occidentaux tentent de hiérarchiser les « races humaines » en cherchant à voir lesquels sont les plus proches du singe, l’ancêtre commun à l’humanité. Les peuples d’Afrique et de l’hémisphère sud de manière générale sont alors classés en bas de l’échelle de l’humanité (Patou-Mathis, 2013).
Ce classement permet alors de justifier l’esclavage puis la colonisation. En effet, puisque la « race blanche » est supérieure selon des diplomates tels que Joseph Arthur comte de Gobineau (XIXe siècle), elle est en droit de dominer les peuples non-blancs. Pour cela, il était nécessaire de mettre en avant les inégalités qui existent entre les différentes sociétés et cela passait, selon Claudine Haroche, par l’humiliation des personnes colonisées (Haroche, 2007). Il y avait une réelle volonté de montrer à ces peuples que leurs traditions, leurs cultures et leur territoire sont inférieurs à celui de colons ou esclavagistes. 

Des choix de représentation qui rabaissent certaines populations

Une fois le fond de carte choisi, il s’agit d’y ajouter des informations. Et encore une fois, le cartographe est maître de ce qu’il veut montrer. Cela peut aboutir à des cartes comiques telles que la série de cartes  « la France vue par » publiée sur cartes Frances

La France vu par les Bretons Source : http://www.cartesfrance.fr/insolite/cartes-france-vue-par/carte-france-vue-par-bretons.html

Carte de Q.I selon Richard Lynn Source : https://www.liberation.fr/checknews/2019/11/14/la-carte-mondiale-des-qi-relayee-par-des-comptes-d-extreme-droite-a-t-elle-une-valeur-scientifique_1754773

Mais les cartes peuvent aussi servir à illustrer des raisonnements scientifiques très orientés. En novembre 2019, twitter est inondé d’une carte intitulée « IQ and the wealth of nations » présentant un découpage du monde selon le niveau de Q.I. Un coup d’œil rapide sur cette carte permet de voir que l’Afrique, l’Amérique du Sud et le sous-continent indien ont les Q.I. les plus faibles. Une conclusion rapide (et fausse) pour quiconque regarde la carte d’un œil distrait : les Africains sont les plus bêtes du monde.

Cette carte controversée découle de l’œuvre de l’ex-professeur émérite de l’université d’Ulster (Irlande) Richard Lynn. Ce psychologue, après plusieurs livres et déclarations sexistes et racistes, a fini par être destitué de sa chaire. D’un point de vue méthodologique, les données ayant servi à réaliser les cartes ont été très critiquées dans la communauté scientifique, notamment par le psycholinguiste français Franck Ramus qui révèle le manque de neutralité culturelle des tests (problèmes de traduction, familiarité avec certains symboles…). Cette carte qui cherche à illustrer de façon simple le constat de Richard Lynn, cache la complexité d’évaluer l’intellect d’un individu (contexte socio-économique du pays, contexte politique, catastrophe naturelle…) et peut rapidement être récupérée pour soutenir des théories pseudo-scientifiques.

Pour Conclure

On peut tout illustrer avec des cartes de manière synthétique, accessible et colorée. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’une carte n’est qu’un outil réalisé par un être humain qui possède sa propre vision du monde. Ainsi, avant de tirer des conclusions se basant uniquement sur les données affichées sur la carte, on se doit de vérifier qui est l’auteur de la carte, la méthodologie utilisée pour la récolte des données et les limites qui peuvent exister autour de la construction de cet objet.

Bibliographie

HAROCHE.C (2007) « Le caractère menaçant de l’humiliation » Le journal des psychologues [En Ligne] https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2007-6-page-39.htm?contenu=resume

LAFORET.C (2020) « Une nouvelle carte du monde dans les écoles à Boston » VeilleCarto2.0 [En Ligne]

MONMONIER.M (1993) « Comment faire mentir les cartes » https://veillecarto2-0.fr/2020/06/04/une-nouvelle-carte-du-monde-dans-les-ecoles-a-boston/

MOULLOT.P (2019) « La carte mondiale des QI, relayée par des comptes d’êtreme droite, a-t-elle une valeur scientifique ? » Libération [En Ligne] https://www.liberation.fr/checknews/2019/11/14/la-carte-mondiale-des-qi-relayee-par-des-comptes-d-extreme-droite-a-t-elle-une-valeur-scientifique_1754773

PALSKY.G (2020) « Carte » HyperGeo [En Ligne] www.hypergeo.eu/spip.php?article381#

PATOU-MATHIS.M (2013)  « De la hiérarchisation des êtres humains au paradigme racial » Hermes, La Revue  [En Ligne] https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2013-2-page-30.htm