L’agriculture urbaine est définie au sens large comme la culture d’aliments dans la ville. Cela comprend aussi bien les fermes urbaines que les jardins partagés ou communautaires (gérés en commun par un groupe d’habitants) ou encore les jardins potagers résidentiels privés (jardins se trouvant dans une parcelle privée, appartenant à un ménage). Ces espaces de production permettent l’auto-consommation allant parfois jusqu’à l’autonomie alimentaire, le troc ou encore les achats en circuits courts.
Bien qu’elle ait toujours existé dans la vie urbaine, l’agriculture urbaine a récemment connu une renaissance, un regain d’intérêt de la part de nombreux acteurs, qui la promeuvent comme un pilier pour stimuler le développement économique, accroître la sécurité alimentaire, lutter contre le réchauffement climatique, entre autres objectifs.
Quels enjeux autour de l’agriculture urbaine ?
La population urbaine représente environ 55% de la population totale mondiale, et avoisinera 68% en 2050, selon l’ONU. Dans les pays développés, cette proportion est bien plus importante et atteint par exemple 80% pour la France. Ces chiffres en hausse constante ont entraîné de nombreux questionnements sur la sécurité alimentaire des villes.
La question de l’insécurité alimentaire, d’une importance croissante, est d’autant plus d’actualité cette année avec la crise du COVID-19 et la survenue de nombreuses pénuries alimentaires. En Île-de-France, c’est le département de la Seine-Saint-Denis qui a été particulièrement touché par ces pénuries. En effet, en Île-de-France, 49% du territoire est agricole, mais la région importe 90% de sa consommation alimentaire.
Une relocalisation de la production et de la consommation, passant notamment par l’agriculture urbaine et la production au niveau individuel ou communautaire pourrait être une réponse adaptée à cet enjeu d’insécurité alimentaire, répondant également à des enjeux environnementaux (préservation de la biodiversité, services écosystémiques…), économiques et sociaux (économies de réciprocité et redistribution, favorisation du lien social, conscience des enjeux environnementaux…)
Pourquoi cartographier l’agriculture urbaine ?
La cartographie de l’agriculture urbaine peut servir de support à certaines politiques publiques autour de l’alimentation des villes et la préservation de la biodiversité notamment. Des cartes qui documentent avec précision l’étendue et la diversité des sites de production alimentaire peuvent démontrer aux autorités municipales et à d’autres que l’agriculture urbaine est une utilisation valable et productive des terres urbaines.
Savoir où se déroule actuellement l’agriculture urbaine et sous quelles formes peut aider les autorités publiques à identifier les lacunes dans la distribution spatiale des sites existants. La cartographie peut également aider à identifier des ressources locales précieuses pour le développement de nouveaux sites et la mise en valeur de sites existants.
La connaissance de ces espaces pourrait donc permettre d’éclairer le développement de politiques d’aménagement du territoire urbain, de programmes éducatifs, de plans de développement communautaire participatif et d’initiatives pour promouvoir le développement de jardins potagers urbains sûrs et durables, et répondre en partie à l’enjeu de la sécurité alimentaire des villes.
Cartographie des jardins collectifs et partagés
De nombreuses cartes existent répertoriant les jardins collectifs et partagés dans une ville ou une région donnée. Ces cartes permettent de répertorier des informations sur ces jardins et indiquer aux utilisateurs où se trouvent les jardins les plus proches de chez eux en fonction de leurs critères.
Un exemple intéressant est la carte mise en ligne par l’association Partageons les Jardins qui promeut et met en réseau des activités de jardinage.
Cette carte collaborative créée sur Google Maps répertorie plusieurs types de jardins collectifs dans la région de Toulouse (jardin familial, jardin partagé, friche temporaire, composteurs collectifs…)
Cartographie des jardins privés
Les jardins privés, individuels et domestiques, ont généralement été négligés dans la planification des systèmes alimentaires, leur contribution aux systèmes alimentaires locaux étant difficilement et rarement mesurée et cartographiée.
Certaines études ont cependant porté sur ce sujet depuis les années 2010, notamment aux États-Unis et au Canada. Un des projets a été mené à Chicago en 2012, et avait pour objectif de créer un ensemble de données et un cadre d’échantillonnage pour de futures recherches qualitatives et quantitatives sur les dimensions sociales, culturelles et biophysiques de l’agriculture urbaine, y compris les jardins potagers. Le projet a également cherché à caractériser la répartition spatiale des sites d’agriculture urbaine existants à Chicago, à mesurer la contribution relative des différentes formes d’agriculture urbaine à l’espace urbain, et à commencer à évaluer les implications de l’étendue, le caractère, et la distribution des sites existants pour la planification des systèmes alimentaires. Tous les jardins ont été cartographiés par photo-interprétation des images satellites Google Earth.
Ces travaux de photo-interprétation permettent d’établir des cartes de la distribution spatiale des jardins, et de visualiser la densité par zone. À Chicago, les données sont agrégées par « community areas » (plus larges) et « neighborhoods ».
Gauche : Jardins potagers résidentiels dans les 228 quartiers de Chicago
Droite : Densité de jardins potagers par groupes de 1000 ménages à Chicago
Source : Taylor, 2012
À Montréal, un travail de photo-interprétation similaire a été effectué, complété de vérifications sur le terrain. Les données de distribution sont également agrégées par zone pour visualiser la distribution du nombre de jardins et de leur superficie.
Gauche : Nombre de potagers dans l’arrondissement de Saint-Léonard à Montréal
Droite : Superficie des potagers dans l’arrondissement de Saint-Léonard à Montréal
Source : Duchemin, 2019
Avoir une cartographie de ces jardins privés pourrait par exemple permettre leur prise en compte dans les documents d’aménagement et d’urbanisme. La loi Alur du 24 mars 2014 « introduit la possibilité de maintenir non constructibles des terrains cultivés dans la ville s’ils sont nécessaires au maintien des continuités écologiques ». Une reconnaissance des enjeux de biodiversité autour des jardins potagers privés, ainsi qu’une connaissance de leurs localisations, pourrait permettre des réglementations autour de ces espaces, importants pour la préservation de la biodiversité.
Il pourrait également être intéressant de créer un indice de performance pour évaluer la capacité de chaque commune ou quartier à supporter une forte densité de population tout en produisant suffisamment de légumes pour ses habitants en fonction de la disponibilité de son utilisation du sol.
Pour toutes les formes d’agriculture urbaine, leur cartographie est donc cruciale pour leur identification par de nombreux acteurs, que ce soit des citoyens souhaitant rejoindre un jardin partagé, ou des autorités souhaitant développer des politiques publiques autour de ces espaces.
Sources
ADEME, 2020, « Alimentation Durable », https://ile-de-france.ademe.fr/expertises/alimentation-durable.
Duchemin Eric, 2019, « Cartographie des jardins individuels dans l’arrondissement Saint-Léonard (Montréal) », AgriUrbain, Carnet de recherche du Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AULAB), https://agriurbain.hypotheses.org/4042.
France Urbaine, 2020, « Les villes face aux défis de la précarité alimentaire. Expériences françaises», http://franceurbaine.org/fichiers/documents/franceurbaine_org/publications/etudes/assemblage_preucariteu_alimentaire_fr.pdf.
Partageons Les Jardins, http://partageonslesjardins.fr/carte/
Taylor John R. et Lovell Sarah Taylor, 2012, « Mapping public and private spaces of urban agriculture in Chicago through the analysis of high-resolution aerial images in Google Earth », Landscape and Urban Planning, vol. 108, n° 1, p. 57‑70. Adresse : https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S016920461200237X.
UN, 2018, « World Urbanization Prospects », https://population.un.org/wup/