La cartographie pour l’aide d’urgence aux populations réfugiées : le cas des Rohingyas


En 2019, 79,5 millions de personnes dans le monde étaient réfugiées pour des raisons politiques, fuyant la guerre, les persécutions ou les conflits, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR, 2020). C’est un chiffre sans précédent depuis la création de l’ONU, qui a presque doublé en une décennie. Les missions d’aide d’organismes humanitaires auprès des populations réfugiées se sont donc également multipliées. Pour leur venir en aide, la cartographie et les SIG sont des éléments indispensables pour une organisation efficace de l’action humanitaire auprès de ces populations, souvent réunies dans des camps, sur de nombreux sujets : accès à l’eau, distribution de nourriture et médicaments, hygiène, disposition des infrastructures…  

L’acquisition de données cartographiques dans les camps de réfugiés

Les camps de réfugiés étant par nature des lieux éphémères, apparaissant et changeant très rapidement suite à des mouvements de populations, ils ne sont pas bien cartographiés. La première étape avant d’utiliser la cartographie pour venir en aide des réfugiés est donc de récupérer des données sur les infrastructures et services, ce qui peut être opéré de plusieurs façons. La cartographie participative a révolutionné l’acquisition de données, en particulier pour des lieux se transformant rapidement et n’ayant pas d’existence officielle. OpenStreetMap, carte coopérative libre lancée en 2004, est un service collaboratif de cartographie en ligne qui permet à tous les utilisateurs d’y ajouter des informations. Cela a permis à de nombreuses zones du monde jamais cartographiées de l’être, grâce à des millions de contributeurs. Le site comparemaps permet de s’en rendre compte en comparant Google Maps, Bing Maps et Nokia Maps avec OpenStreet Map. L’exemple ci-dessous montre un quartier près de la ville de Cox’s Bazar au Bangladesh : les bâtiments ne sont cartographiés que sur OpenStreetMap.

Source : http://comparemaps.drona.ro/

  Il est donc possible d’alimenter OpenStreetMap avec des données sur les camps de réfugiés, individuellement ou à travers des projets comme Missing Maps, mis en place par la Croix Rouge Américaine, Britannique, l’Humanitarian OpenStreetMap Team, Médecins Sans Frontières UK, ou encore CartONG en France et qui vise à « cartographier préventivement les zones les plus vulnérables de la planète, afin d’optimiser la réponse des ONGs sur le terrain en cas de crises. » (CartONG, 2019) Les contributeurs se basent sur des images satellites récentes pour tracer des polygones autour des bâtiments ou encore des lignes autour des chemins pour que ces données puissent ensuite apparaître sur OpenStreetMap et être utilisées dans des SIG.

Cartographie participative de bâtiments de populations déplacées près de Marib, au Yémen. En rouge : les bâtiments ayant déjà été cartographiés par un contributeur.

Source : https://tasks.hotosm.org/projects/8547

  Une autre solution pour l’acquisition de données géographiques dans les camps de réfugiés est l’utilisation de drones, parfois couplée à une Intelligence Artificielle. L’ajout de l’Intelligence Artificielle donne au SIG la capacité de traiter automatiquement et rapidement des images complexes. L’imagerie du drone, combinée aux données cartographiques d’OpenStreetMap et d’autres partenaires, peut être programmée pour reconnaître et catégoriser les caractéristiques géographiques, y compris les bâtiments, les objets fabriqués par l’homme, la végétation et le sol. C’est ce qui a notamment été fait à Kutupalong Balukhali, un camp de réfugiés Rohingyas au Bangladesh.    

L’utilisation de la cartographie dans les camps de réfugiés : le cas de la crise des Rohingyas

 

Contexte de la crise des Rohingyas

Les Rohingyas sont un groupe peuple indo-aryen, majoritairement musulman, qui vit depuis des siècles au Myanmar, pays majoritairement bouddhiste. Actuellement, il y a environ 1,1 million de Rohingyas dans ce pays d’Asie du Sud-Est. Ils ne sont pas considérés comme l’un des 135 groupes ethniques officiels du pays et se voient refuser la citoyenneté au Myanmar depuis 1982, ce qui les a rendus apatrides. La majorité des Rohingyas du Myanmar vivent dans l’État d’Arakan (rebaptisé Rakhine par le gouvernement) à l’Ouest du pays et ne sont pas autorisés à partir sans l’autorisation du gouvernement, entre autres restrictions auxquelles cette minorité doit se plier. En raison des violences et persécutions subies par ce peuple, des centaines de milliers de Rohingyas ont fui vers les pays voisins depuis plusieurs décennies. En août 2017, ce nombre de déplacés a explosé, suite à des répressions de l’armée ayant fait plus de mille morts chez les Rohingyas, selon l’ONU (Geoffroy, 2017). Près de 400 000 Rohingyas se sont réfugiés dans les pays voisins dans les deux semaines suivant ces violences, dont près d’un million au Bangladesh, dans la région de Cox’s Bazar.

                  

À gauche : répartition de la population Rohingya dans le monde en octobre 2017, suite aux violences d’août 2017. À droite : répartition de la population Rohingya réfugiée au Bangladesh, au 31 décembre 2020

Sources : https://www.aljazeera.com/news/2017/10/28/rohingya-crisis-explained-in-maps & https://reliefweb.int/map/bangladesh/rohingya-refugee-responsebangladesh-refugee-population-location-31-december-2020

 

Utilisation des données cartographiques pour l’aide d’urgence

Le camp de réfugiés de Kutupalong Balukhali, avec plus de 600 000 réfugiés, dont la majorité arrivée en quelques mois en 2017, est le plus peuplé au monde. À la suite de ce flux de population jamais vu, de nombreuses organisations humanitaires se sont mobilisées pour l’aide d’urgence, notamment à l’aide de la cartographie. Les infrastructures ont été cartographiées entre autres via des drones et sur OpenStreetMap à partir d’images satellites, par des organisations et bénévoles. Ces données sont utiles pour plusieurs secteurs d’action. Premièrement, elles sont essentielles pour l’aide d’urgence concernant les besoins de première nécessité : l’eau, la nourriture, l’hygiène et la santé. Ces données sont également essentielles pour la prévention des risques. En effet, ce territoire est sujet à de nombreux risques naturels, tels que les glissements de terrain ou les inondations. Un exemple de thème d’action pour lequel ces données géographiques ont été utilisées est le WASH (Water and Sanitation). Les cartes ont permis de visualiser et de répartir au mieux la localisation des pompes à eau et des latrines, en fonction de la population. Il y a en moyenne 100 résidents par pompe à eau et 35 par latrine, et 99% de la population vit à moins de 200 mètres d’une pompe et 50 mètres d’une latrine.

           

À gauche : répartition des pompes à eau dans le camp de Kutupalong Balukhali À droite : répartition des latrines dans le camp de Kutupalong Balukhali

Source : https://www.arcgis.com/apps/Cascade/index.html?appid=5fdca0f47f1a46498002f39894fcd26f

  À la suite de l’aide d’urgence, cela a également permis d’organiser des systèmes d’accès à l’eau et à l’hygiène de plus long terme, notamment pour l’évacuation des eaux et l’assainissement.  

Travailler avec les réfugiés

Un aspect important de la cartographie pour l’aide humanitaire dans les camps de réfugiés est d’y travailler avec eux. Le camp de Kutupalong Balukhali est subdivisé en 23 camps plus petits, chacun contenant environ 1 500 blocs, avec environ 100 familles par bloc. Chaque bloc a un chef de communauté qui représente le bloc et communique ses besoins, y compris pour la nourriture, l’éducation et la sécurité. Ces informations sont intégrées dans les bases de données SIG, avec le décompte approximatif de la population que représente chaque chef de communauté, ce qui permet de visualiser la densité de chaque bloc. Il est aussi essentiel de donner accès à ces informations aux réfugiés pour leur organisation interne également, ce qui leur permet d’être plus autonomes et ne de pas être toujours sous l’égide des organisations étrangères.