Les limites de l’usage de la géolocalisation : le procès JC Decaux


La géolocalisation est définie par le CNIL comme étant une « technologie permettant de déterminer la localisation d’un objet ou d’une personne avec une certaine précision ». Autrement dit, il s’agit d’avoir la possibilité de placer des objets géographiques sur une carte ou, de suivre les déplacements d’une personne. Les entreprises utilisent de plus en plus cette technologie pour gérer leur patrimoine et leurs infrastructures, mais également pour suivre les parcours de leurs employés via des GPS intégrés à leurs voitures ou leurs téléphones de fonction.

Cependant, si cette pratique a pu sembler se normaliser, le procès opposant JCDecaux, le spécialiste français de l’affichage extérieur à ses salariés itinérants, réouvre les discussions concernant l’utilisation des données et la limite parfois fine entre vie privée et vie professionnelle.

La source du problème

https://gomet.net/jcdecaux-musicalise-le-tram-de-nice/

JCDecaux est une entreprise française spécialisée dans l’affichage extérieur créée en 1964 par Jean-Claude Decaux. En 2020, cette entreprise était implantée dans 75 pays et engageait plus de 13 000 personnes. Une partie du personnel de JCDecaux est composée d’itinérants chargés de poser des affiches, mais également d’entretenir le mobilier urbain appartenant à l’entreprise. Pour réaliser leurs missions, ils utilisent des véhicules professionnels fournis par JCDecaux.

Pour suivre l’utilisation des véhicules de fonction, l’entreprise avait pour habitude d’utiliser des chronotachygraphes d’abord papiers puis électroniques. Ces appareils qui permettent d’enregistrer la vitesse et le temps de conduite des camions ne donnent aucune indication sur la localisation. Cependant, en 2015, JCDecaux, décide d’ajouter un système de géolocalisation appelé FM tracer. Ce système avait pour but d’aider au suivi de l’utilisation du véhicule, mais aussi aider à la gestion du parc, à l’organisation des tournées, et vérifier l’utilisation professionnelle et privée des véhicules.

Un procès qui dura 4 ans… 

Pour tous géomaticiens, cette augmentation de la donnée spatiale est une aubaine. Cependant, pour les itinérants, cela constitue une violation de leurs droits. Ils décident alors de saisir l’IC-CHSCT en 2016 pour protester contre les 3 projets de nouvelles technologies : la géolocalisation, la déclaration d’activité par smartphone, la traçabilité des composants. Les verdicts du cabinet Technologia et celui du comité d’entreprise se rejoignent, le projet de géolocalisation est illicite et doit être oublié.

Cependant, en septembre 2016, JCDecaux décide d’activer son système de géolocalisation, FM Tracer, malgré tout. Les salariés ne renoncent pas et la lutte contre la géolocalisation continue. En 2017, le tribunal de grande instance demande le retrait du dispositif. En 2018, la cour d’appel de Versailles confirme ce verdict et pour finir en 2020 la Cour de cassation confirme une dernière fois l’illégalité de la géolocalisation des salariés itinérants.

https://www.flotauto.com/jcdecaux-eco-conduite-20170306.html

Mais… la géolocalisation en entreprise… est-ce illicite ?

Alors, je rassure tous les géomaticiens et utilisateurs de données spatiales qui lisent cet article, la géolocalisation en entreprise ce n’est pas illégale, mais cela est très encadrée. Le CNIL, résume en 6 points les usages de la géolocalisation dans un contexte professionnelle :

  • Suivre, justifier et facturer une prestation de transport de personne, de marchandises ou de services directement liée à l’utilisation du véhicule ;
  • Assurer la sécurité de l’employé, des marchandises ou des véhicules dont il a la charge (retrouver le véhicule en cas de vol) ;
  • Mieux allouer des moyens pour des prestations à accomplir en des lieux dispersés, notamment pour des interventions d’urgence ;
  • Suivre le temps de travail, lorsque cela ne peut être réalisé par un autre moyen ;
  • Respecter une obligation légale ou réglementaire ;
  • Contrôler le respect des règles d’utilisation du véhicule ;

Les erreurs d’usage de JCDecaux  

En relisant le but de l’usage de la géolocalisation énoncé par JCDecaux, il semblerait que tout respecte les règles de la CNIL. Cependant, aux yeux de la loi il faut distinguer deux types d’itinérants : 

  • https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-les-panneaux-clear-channel-vont-remplacer-les-sucettes-jcdecaux-24-03-2019-8038653.php

    Les itinérants en charge du nettoyage du mobilier urbain, n’effectuent pas des tâches liées directement à l’utilisation de leur véhicule. Les règles de la CNIL n’autorisent alors pas la géolocalisation.

  • Pour les employés s’occupant de l’affichage, les affiches étant la propriété des clients, le véhicule est alors au cœur de la prestation de service. Néanmoins, les affiches ne sont pas soumises à obligation réglementaire ou légale de suivi géolocalisé.

De plus, le suivi du travail est déjà possible grâce au chronotachygraphe électronique mis en place en 2015 qui permet de fournir à l’entreprise les heures de trajet (début-fin), les périodes où le contact est mis, le temps de roulage et d’arrêt, le kilométrage, les identifiants de l’agent et du véhicule et des comportements de conduite.

En conclusion, JC Decaux, n’a aucune raison valable d’ajouter ce dispositif de suivi que les employés trouvent disproportionné et intrusif.

Pourquoi j’ai souhaité parler de cela ?

En tant que géomaticien, nous cherchons toujours à avoir plus de données. On espère suivre en quasi temps réel tout le patrimoine ou les employés qu’on doit étudier. Cependant, il est important de se mettre à la place des personnes dont on récolte les informations et qu’on sache où fixer les limites. La CNIL, s’acharne à préciser son règlement concernant les usages possibles de la géolocalisation mais la limite entre ce qui est possible ou non est parfois tellement fine qu’avant de proposer un nouveau projet ou un nouvel outil il convient de réfléchir sur sa réelle utilité, sur l’acceptabilité de l’utilisateur et toujours s’assurer qu’on n’en demande pas beaucoup trop aux métiers.

PS : Si vous voulez en savoir plus sur ce dossier je vous conseille de lire le document suivant :

http://www.filpac-cgt.fr/wp-content/uploads/2018/12/CAVersailles29nov18.pdf

Mais aussi de faire un petit tour sur le site de la CNIL pour vérifier si vos idées entre dans le cadre légale

https://www.cnil.fr/fr/la-geolocalisation-des-vehicules-des-salaries