L’eau un trésor en partage: Les conflits géopolitiques sur le partage des eaux du Nil


Introduction

Avec le réchauffement climatique et la croissance démographique toujours plus importante, la question de l’utilisation et de l’accès à l’eau est au centre de litiges, de contestations et d’enjeux entre les Etats. Cette ressource est indispensable au développement des sociétés.

Ainsi, l’exploitation du plus long fleuve du monde, le Nil, fait l’objet de tensions entre les pays riverains du fleuve. D’un côté, il y a l’Égypte et le Soudan. Ces deux pays sont unis par des accords de longue date. D’un autre côté, les 8 autres pays riverains, notamment l’Éthiopie.

Le Nil est un fleuve d’Afrique et le plus long fleuve du monde. Il a une longueur d’environ 6 700 km. Il prend sa source au Lac Victoria au centre de l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie, puis se jette ensuite dans la Méditerranée.

Ses deux branches s’unissant à Khartoum la capitale du Soudan actuel. Le Nil, en se jetant dans la Méditerranée, forme un delta au nord de l’Égypte. Il travers 10 pays : le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, le Kenya, la République démocratique du Congo, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, le Soudan et l’Égypte.

Les eaux du Nil représentent une ressource importante pour ces différents pays. Pour des raisons historiques, l’Égypte a toujours exploité la plus grosse partie du débit du fleuve. Tous les autres pays ne sont pas en accord avec cela. Le bassin du Nil connait ainsi des tensions politiques récurrentes, mais aussi de nombreuses initiatives allant dans le sens d’une gestion conjointe entre tous les pays concernés.

Nous tenterons de présenter, dans une première partie, le partage des eaux du Nil entre les Etats riverains. Dans une seconde partie, nous verrons que ces partages font place à des tensions entre les Etats en aval et les Etats en amont. Enfin, nous verrons dans une troisième partie, que les Etats riverains ont pris conscience de la gravité de la situation et tentent d’apporter des solutions afin de sauvegarder la paix dans la région.

I) Le Nil et le partage de ses eaux

a) Une artère vitale pour le développement économique de la région

L’Égypte, qui se situe en aval du fleuve, dépend quasiment du Nil pour son approvisionnement en eau. L’exploitation du Nil par les Etats en amont, comme l’Éthiopie et le Kenya, réduit le débit du fleuve lorsqu’il arrive en Égypte. Cette exploitation croissante s’explique par les conditions climatiques arides mais aussi par la croissance démographique que connaissent les pays riverains du Nil.

La vallée du Nil est en bonne partie située dans une zone sèche et aride, même s’il existe des régions où la pluviométrie est plus importante. Notamment dans la région des grands lacs (Tanzanie, Ouganda).

En revanche, l’Egypte et le Soudan sont deux pays qui connaissent des précipitions très faibles. Ils dépendent donc du Nil pour leur consommation d’eau, pour l’irrigation des terres arables, mais aussi pour la production d’électricité. De manière générale, ils dépendent du fleuve pour se développer.

Outre l’aridité de la région, la vallée du Nil est une région densément peuplée, avec 400 millions de personnes vivant dans les pays riverains. Une population majoritairement pauvre. L’aridité, la pauvreté et la densité de population rendent les populations encore plus vulnérables face au manque d’eau.

Le Nil est donc un enjeu géostratégique, en particulier pour l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie. En effet, ces trois pays connaissent les plus fortes croissances démographiques et sont les Etats les plus secs de la région.

b) Le partage inégal des eaux du Nil

Le partage des eaux du Nil s’est fait par le biais de divers accords signés sous l’Empire britannique qui ont tous profité à l’Egypte, et, dans une moindre mesure, au Soudan. Ainsi, « l’accord sur les eaux du Nil », signé en 1929 entre l’Egypte et les Britanniques (domination coloniale britannique dans la région, qui contrôle le Kenya, le Soudan, l’Ouganda ou encore la Tanzanie) partage les eaux du Nil entre l’Egypte (48 milliards de mètres cubes) et le Soudan (4 milliards de mètre cube).

Cet accord affirme le besoin en eaux de l’Egypte en soumettant tous les projets de constructions, de barrages ou de détournements des eaux de pays situés en amont à l’approbation des autorités égyptiennes.

Ce pacte est révisé en 1959 du fait de l’indépendance du Soudan (depuis 1956). Ainsi, le « traité sur les eaux du Nil » signé entre le Général Abboud et le Colonel Nasser abouti à une meilleure répartition des eaux du Nil : 55,5 milliards de mètres cubes d’eau pour l’Egypte et 22 milliards pour le Soudan.

Ces deux accords sont pleinement favorables à l’Egypte, qui capte la majeure partie des ressources en eau. De plus, l’Égypte dispose d’un droit de veto sur les projets de détournement des eaux dans les pays situés en amont qui peuvent affecter le débit du fleuve. De plus, le barrage d’Assouan, dont la construction entre 1960 et 1970 fut décidée avec le traité de 1959, a permis à l’Egypte de stocker une grande partie des eaux du Nil.

II) Des tensions qui apparaissent

a) La contestation des pays en amont

Aujourd’hui, les 8 autres Etats riverains rejettent les accords historiques et dénoncent les prétentions égyptiennes à contrôler l’utilisation des eaux du Nil. Ces Etats ont cherchés à s’unir pour imposer la révision du traité de 1959. Rappelons que 87% des eaux du Nil provienne du plateau Éthiopien.

Depuis plusieurs années, l’Éthiopie et les Etats riverains du Nil revendiquent un partage plus équitable des eaux du fleuve afin d’assurer leur développement et pouvoir construire des barrages sans autorisation préalable de l’Égypte. L’Égypte s’oppose catégoriquement à la signature d’un nouvel accord. Elle invoque la légitimité des accords historiques signés sous la période coloniale.

b) L’accord d’Entebbe

En 2010, l’Éthiopie, la Tanzanie, le Rwanda, le Kenya et l’Ouganda ont signé un nouveau traité : « l’accord d’Entebbe », réorganisant la gestion des eaux du Nil. L’Égypte, tout comme le Soudan, a refusée de signer cet accord. Elle le juge dangereux pour son économie.

Ce traité s’est accompagné de la mise en place d’une commission, regroupant l’ensemble des Etats riverains signataires. Cette commission est chargée de valider ou de rejeter tous projets hydrauliques ayant une conséquence sur le cours du Nil, sur le volume ou la qualité des eaux du fleuve. Cela a bouleversé les rapports de force autour du partage des eaux du Nil. En effet, avec l’accord d’Entebbe, les Etats riverains contrebalancent le poids du traité de 1959 qu’ils ne reconnaissent pas.

Aujourd’hui, l’Égypte est privée de son droit de regard sur les grands travaux hydrauliques en cours pour la première fois depuis 1959. Malgré cet accord, le litige sur l’utilisation des eaux du Nil perdure. L’Égypte et le Soudan se positionnent comme contestataires et appuient leurs revendications sur des « droits historiques ».Les Etats en amont, quant à eux, demandent un juste partage de l’utilisation des eaux du Nil.

Suite à l’accord d’Entebbe, qui affaibli l’Égypte, chaque Etat riverain en amont du fleuve a entreprit de vastes projets de construction hydraulique. Ils réduisent ainsi le débit du Nil à son arrivée en Égypte.

La Tanzanie et le Kenya ont commencé à pomper l’eau du lac Victoria pour irriguer 4 à 5 millions d’hectares de terres agricoles dont ils ont un besoin impératif. Mais c’est le barrage de la « Renaissance » qui cristallise les tensions.

c) Le grand barrage de la « Renaissance »

L’Éthiopie a lancé en 2011 l’édification sur le Nil bleu du Gand Barrage de la Renaissance éthiopienne. Ce barrage, destiné à accroitre la production d’électricité en Ethiopie, aura un réservoir de 75 milliards mètres cubes d’eau.

Il devrait permettre au pays de rapidement devenir le premier producteur d’électricité en Afrique, d’exporter cette énergie vers ses voisins et donc de favoriser le développement économique de l’Ethiopie, qui a connu de grandes difficultés ces dernières années (sécheresse, famine, guerre civile).

Depuis 2013, les tensions sont vives entre l’Egypte et l’Ethiopie car les autorités Egyptiennes, en se référant au traité de 1959, considèrent que l’Ethiopie assèche illégalement le Nil. L’ancien président Egyptien Morsi s’était même dit prêt à recourir à la force militaire pour défendre le monopole de son pays sur le Nil et détruire le barrage en déclarant que « toutes les options sont ouvertes ». Toutefois, son successeur est moins agressif.

III)  Quelles solutions ?

a) Des initiatives communes

Malgré une situation tendue, des initiatives viennent contrebalancer les désaccords entre Etats. L’Egypte a en effet été obligée d’entamer des négociations avec les Etats riverains. Tandis que les signataires de l’accord d’Entebbe se sont eux dits prêts à renégocier ce traité avec l’ensemble des pays concernés. C’est-à-dire que l’Egypte et le Soudan sont invités à la table des discussions.

Les Etats de la vallée du Nil s’entendent également sur la nécessité d’évaluer très rapidement les besoins en eaux de chaque Etat en fonction du nombre d’habitants.

b) Le recours à un organisme indépendant et non étatique

Pour évaluer les besoins en eaux de chaque Etat en fonction du nombre d’habitants, les pays membres de l’accord d’Entebbe envisagent le recours à un organisme indépendant et non étatique.

Une solution pacifique à la résolution de ce conflit régional est donc possible. En effet, les négociations reflètent une volonté constructive des pays concernés de résoudre ce conflit sans avoir recours à la violence.

Pour ce faire, il apparait nécessaire que l’Egypte reconnaisse qu’elle n’a pas d’hégémonie sur les eaux du fleuve. Les Etats en amont doivent accepter que les politiques liées à l’exploitation des eaux du Nil doivent être prises en concertation entre les différents Etats concernés.

Le 6 novembre 2019, s’est tenue une rencontre ministérielle entre l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte à Washington. Les ministres des Affaires étrangères de ces 3 pays ont été reçus par le président américain Donald Trump, qui a dit « vouloir aider à résoudre la dispute ».

Conclusion

Nous avons vu que l’’eau est une ressource de plus en plus rare. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit au centre de convoitises et d’enjeux géopolitiques entre Etats. En effet, avec la croissance démographique et le réchauffement climatique, on peut penser que ces conflits autour du partage de l’eau se multiplieront.

Nous avons vu également que l’origine des tensions entre les 10 Etats riverains découle de ces « accords historiques » signés sous l’Empire britannique et se faisant au profit de l’Egypte.

Il convient toutefois de souligner qu’aujourd’hui, le point de discorde entre l’Egypte et l’Ethiopie ne porte plus sur la construction du barrage en lui-même, mais sur la vitesse de remplissage du barrage.

L’Ethiopie souhaite le remplir au plus vite pour bénéficier rapidement de la production électrique. Les autorités Egyptiennes souhaitent, quant-à elles, un remplissage plus long pour ne pas modifier le débit du fleuve à son arrivée en Egypte.

L’absence d’accord entre ces 3 pays pourrait-elle conduire à un conflit aux graves conséquences humanitaires ?

 

Bibliographie

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MUTAHI, Basillioh « Pourquoi l’Égypte et l’Éthiopie se disputent le Nil ? ». In « BBC News ». Le 8 novembre 2019. https://www.bbc.com/afrique/region-50331931, consulté le 9 novembre 2019.

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