Un état bref de la visualisation des productions cartographiques par les usagers
« Toute représentation graphique se doit de donner facilement toutes les réponses qu’attendent ses différents utilisateurs, et il en est de même des diagrammes et des cartes. »
(Gronoff et Bertin, 1973)
Avant d’être un support ou un outil pratique, la carte est d’abord une image, perçue par un individu par le sens de la vue grâce à des fonctions cognitives. « La cognition regroupe un ensemble de phénomènes qui se rapportent à l’esprit humain et à son fonctionnement. La cognition est souvent déclinée en un ensemble de facultés : l’attention, la mémoire, le raisonnement, la prise de décision, la compréhension — bref, tout ce qui pourrait constituer la pensée. » (Collins, Andler et Tallon-Baudry, 2018)
Dans notre cas, on s’intéresse à la perception. La carte est un objet complexe analysé par la rétine qui visualise l’objet puis le cerveau l’analyse pour comprendre l’objet qui a sous les yeux. La figure ci-contre explique comment la carte est perçue par la rétine puis analysée par le cerveau.

Jérémy Ory explique ce mécanisme dans sa thèse par rapport à un usager qui utilise une carte topographique. Tout d’abord, l’usager regarde la carte par le biais de la rétine, celle-ci identifie les éléments qui la composent pour faire une image mentale. Une image mentale renvoie à la perception des 5 sens (la vue, l’ouïe, le goût et l’odorat et le toucher) pour créer une représentation interne, celle-ci permet une compréhension de l’objet cartographique qui sera enrichi par les connaissances cartographiques de l’individu1. (Jeremie Ory, 2016 ; Laurent Jégou et Jean-Philippe Deblonde, 2012)
L’usage et son destinataire sont au cœur de la construction d’une carte, c’est pourquoi le cartographe ne doit jamais oublier ces éléments. En fonction de ces éléments, l’information sera soit vulgarisée ou complexifiée pour sa représentation sur la carte.
1. La perception de l’information par un usager dit lambda
On sait que la carte est une image décryptée par plusieurs opérations cognitives comme nous illustre le schéma de la figure 2.

Cette figure 2 nous permet de voir comme un individu sans déficience visuelle, observe une carte. Sa lecture et sa compréhension sont facilitées par le sens de la vue qui permet d’analyser la carte instantanément on peut associer le figuré et sa signification en une lecture de la carte. Néanmoins, en fonction de ces connaissances en cartographie, le temps pour comprendre la carte diffère d’une personne à une autre en sachant que cela ne prend pas en compte la complexité de l’information représentée sur la carte. On va caractériser un usager lambda comme une personne qui ne souffre pas d’un trouble en lien avec la déficience visuelle. Hypothétiquement, c’est un individu qui voit bien les couleurs et qui n’a pas encore montré de signes de baisse de vision liée à l’âge.
2. La perception de l’information par un usager souffrant d’une acuité visuelle inférieure à « la normale » voire est atteinte d’une cécité
L’acuité visuelle se définit comme en tant une « grandeur mesurant la capacité de l’œil à discriminer deux points distincts, en fonction de la distance les séparant et de l’éloignement de l’observateur. »(Larousse, s. d.) Il permet à l’individu de savoir si sa vision est « bonne » ou « moins bonne » en général. Avoir une acuité visuelle inférieure à la « normale » résulte des nombreux facteurs et causes qui peuvent être classées pour permettre de déterminer son degré de déficience visuelle.
« La déficience visuelle est définie par deux critères (toujours évalués à partir du meilleur œil après correction) soit l’acuité visuelle (aptitude que possède un œil pour apprécier les détails) ; et l’état du champ visuel (espace qu’un œil immobile peut saisir). » (Onisep, s. d.) D’un point de vue simplifié, on peut distinguer deux classifications soit les personnes aveugles donc atteintes de cécité (à cause d’une acuité visuelle inférieure à 1/10) ou soit les personnes malvoyantes ou « basse vision » (avec une acuité visuelle inférieure à 3/10, mais supérieure à 1/10.) » (Larousse, s. d.) L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déterminé un classement plus précis par rapport à cela. On peut noter que le vieillissement de l’individu peut entrainer une baisse de l’acuité visuelle, donc on est tous sujets à un moment à cette déficience visuelle.
Ensuite concernant la déficience visuelle sur les malvoyants et les personnes aveugles on définit un individu malvoyant comme « une personne souffrant d’un trouble de la vue, par le fait qu’il ne voit plus ou qu’il voit particulièrement mal. »(Linternaute, 2021) Alors qu’un individu aveugle lui « est privé du sens de la vue. » (Éditions Larousse, s. d.) donc, l’un est « partiellement privé du sens de la vue » tandis que l’autre « est totalement privé du sens de la vue ». On en déduit que ces personnes n’auront pas les mêmes besoins ni les mêmes outils pour comprendre la carte par exemple.
Contrairement à ce que l’on pense, le braille n’est pas maitrisé par tous les déficients visuels selon l’étude d’Homère sur les 1 865 personnes qui ont répondu, seules 38 % ont au moins quelques notions de braille contre 62 % qui n’en ont aucune.(Etude Homère, 2023) Cette généralisation nous montre une représentation biaisée de la réalité. L’article de Régis Kern, nous met de voir et de comprendre une partie des enjeux et un mode de vie des personnes malvoyantes, pour les deux des outils d’accessibilités qui seront mobilisés pour appréhender leurs espaces et interagir avec lui. Par exemple « un téléagrandisseur pour agrandir le document à parcourir celui-ci peut être accompagné d’une voix de synthèse qui pourra être adaptée par son utilisateur comme modifier la taille de la police et la vitesse de lecture de la voix de synthèse. D’autres outils utilisent des fonctions similaires pour s’adapter aux personnes aveugles pour leur permettre d’effectuer des recherches sur internet voire de comprendre un document par une lecture audio du support voire un lecteur d’écran qui décrit chaque élément d’un élément quand la souris passe dessus. » (Régis Kern, 2016) On peut souligner que ces individus utilisent le toucher puis la perception haptique pour comprendre et interpréter l’information.
La perception haptique demande plus d’analyse que la perception visuelle de la part l’individu par celui-ci doit prendre connaissance de l’objet qui tient pour comprendre ce que cela est puis comprendre ce que représente par élément qui compose l’objet comme nous montre la figure 3.

On peut déjà en déduire que la lecture d’une carte par la perception haptique est une étude lente et précise à faire en plusieurs étapes comme nous illustrer synthétiquement la figure 4.

Un temps d’adaptation est nécessaire pour comprendre l’environnement qui entoure ces personnes, ce qui est pareil pour un nouvel objet. Il est plus simple de parcourir un objet que l’on connaît de même qu’un trajet connu. Puisque notre la société traduite un grand nombre de ces informations par la vue, malgré des aménagements faits pour une meilleure appréhension de l’environnement, ces aménagements se traduisent par des bandes d’interceptions et de guidage sur les trottoirs par exemple. Cela permet à des individus de faire une analyse multisensorielle avec les données tactiles, auditives, olfactives, gustatives et kinesthésiques3 qui influent sur le paysage au quotidien de l’individu.(Mouzoune, 2005) L’expérience et la pratique permettent une meilleure connaissance du monde qui entoure l’individu et participe à l’accroitre du sentiment d’accessibilité et de sécurité, car c’est un endroit vécu et connu par l’usager ce qui facilite ces déplacements en d’autres.
Par conséquent la production cartographique devra prendre en compte divers éléments comme le montre la figure 3 pour permettre une compréhension simple et rapide de la carte et de l’information représentée sur celle-ci. On peut mettre en avant que le toucher4 et l’ouïe5 sont les principaux sens à favoriser pour un accès pratique aux cartes. Toutefois, il serait intéressant de développer des cartes liées à l’odeur ou au goût malgré des difficultés pour traduire des informations pour ces sens qui renvoient à des sensations et participent à l’imaginaire de l’individu.(Colette Cauvin, 2016)
3. La perception de l’information par un usager atteint de dyschromatopsie
La dyschromatopsie se définit par le fait d’avoir « un trouble de la perception des couleurs. »(Le Robert, s. d.) soit le daltonisme et l’achromatopsie.
Le daltonisme se définit par une « anomalie génétique de la vision, non perception ou confusion de certaines couleurs (surtout rouge et vert). »(Le Robert, s. d.)
L’achromatopsie est une « affection, transmise génétiquement, qui empêche de distinguer les couleurs. (Le sujet ne distingue que le noir, le gris et le blanc.) » (Éditions Larousse, s. d.)
Il existe plusieurs daltonismes, donc plusieurs couleurs modifiées selon le regard du daltonien comme nous montrent la figure 5 ci-contre :

Les personnes atteintes de daltonisme ou de dyschromatopsie, voire d’achromatopsie doivent pouvoir lire et comprendre une carte avec une partie des couleurs ou sans couleurs. Il existe plusieurs stades de daltonisme qui altère les cônes de la rétine génératrice des couleurs, c’est pourquoi la couleur verte ne sera pas perçue comme verte, mais jaune comme nous montre la figure 6 pour la vision d’une protanopie et d’une deutéranopie.

Les personnes atteintes de dyschromatopsie ne sont pas toujours capables de percevoir les couleurs d’une production cartographique comme c’est le cas de la carte de Corine Cover Land comme nous montre la figure 7 en raison de l’utilisation d’une grande palette de couleurs avec des nuances différentes de couleurs similaires. Cette carte ne peut pas être lue par ces personnes en raison de l’incapacité de les différencier, mais avec l’appui d’une légende.

Dans cet article, on a résumé les grandes caractéristiques de perception visuelles par les cartes à travers le regard d’un usager sans déficience visuelle puis le cas de personnes souffrant de déficiences visuelles. En dressant une liste des méthodes utilisées par les personnes déficientes pour analyser leurs environnements.
Dans le prochain et dernier article de cette série, on verra des dispositions et les possibles méthodes pour rendre une carte accessible aux plus grands nombres.
Cet article s’inscrit dans une série d’articles que vous pouvez retrouver dans les liens suivants :
Note de bas de page
- L’idée a été théorisée par S.I. Fabrikant et A. Skupin (2005) ↩︎
- Théorie développée par Lederman et Klatzky (1987) ↩︎
- Source originale : (Bigelow, 1996) ↩︎
- « Le toucher a été abordé par Regina Vasconcellos (1993, 1996) qui a déterminé un ensemble de variables sémiotiques liées à ce sens, destinées aux cartes pour les déficients visuels. » (Colette Cauvin, 2016, p. 22) ↩︎
- John B. Krygier a développé des variables liées au son pour être l’équivalent des variables visuelles théorisé par Jacques Bertin. ↩︎
Bibliographie
Colette Cauvin, 2016, « LA SÉMIOTIQUE EN CARTOGRAPHIE AU XXIe SIÈCLE ? »,. Adresse : https://www.lecfc.fr/new/articles/229-article-3.pdf [Consulté le : 8 juin 2023].
Collins Thérèse, Andler Daniel et Tallon-Baudry Catherine, 2018,« Avant-propos », La cognition, Folio Essais, Paris, Gallimard, p. 9. Adresse : https://www.cairn.info/la-cognition–9782072764370-p-9.htm [Consulté le : 8 juin 2023].
Éditions Larousse, « Définition Achromatopsie »,. Larousse. Adresse : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/achromatopsie/710 [Consulté le : 1 juin 2023a].
Éditions Larousse, « Définitions : aveugle – Dictionnaire de français Larousse »,. Larousse. Adresse : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/aveugle/7064 [Consulté le : 8 juin 2023b].
Etude Homère, 2023, « ÉTUDE NATIONALE SUR LA DÉFICIENCE VISUELLE : HOMÈRE Quelques résultats importants »,. Adresse : https://etude-homere.org/ [Consulté le : 1 juin 2023].
Gronoff Jean-Daniel et Bertin Jacques, 1973, « Cartes et graphiques dans la presse »,. Communication & Langages, vol. 17, n° 1, p. 84‑103.
IGN, 2018, « Corine Land Cover »,. Portail de l’artificialisation. Adresse : https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/bases-donnees/corine-land-cover [Consulté le : 15 octobre 2023].
Jeremie Ory, 2016, Connaissances pour la conception et la perception de styles topographiques, Grade de docteur, Paris, Université Paris-Est. Adresse : https://theses.hal.science/tel-01539594/document [Consulté le : 9 février 2023].
Larousse Éditions, « Acuité visuelle »,. LAROUSSE (Larousse Médical). Adresse : https://www.larousse.fr/encyclopedie/medical/acuit%C3%A9_visuelle/17084 [Consulté le : 8 juin 2023a].
Larousse Éditions, « malvoyant – LAROUSSE »,. LAROUSSE (Larousse Médical). Adresse : https://www.larousse.fr/encyclopedie/medical/malvoyant/14381 [Consulté le : 8 juin 2023b].
Laurent Jégou et Jean-Philippe Deblonde, 2012, « Vers une visualisation de la complexité de l’image cartographique »,. Cybergeo. Adresse : http://journals.openedition.org/cybergeo/25271 [Consulté le : 5 juin 2023].
Le Robert, « Daltonisme – Définitions, synonymes, conjugaison, exemples »,. Le Robert (Le dico en ligne). Adresse : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/daltonisme [Consulté le : 11 juin 2023a].
Le Robert, « Dyschromatopsie – Définitions, synonymes, conjugaison, exemples »,. Le Robert (Le dico en ligne). Adresse : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/dyschromatopsie [Consulté le : 11 juin 2023b].
Linternaute, 2021, « Non-voyant : Définition simple et facile du dictionnaire »,. Linternaute. Adresse : https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/non-voyant/ [Consulté le : 8 juin 2023].
Mouzoune Karim, 2005, « Cécité, perceptions spatiales et modes de déplacement en ville »,. Le Globe. Revue genevoise de géographie, vol. 145, n° 1, p. 95‑108.
Onisep, « Définition des troubles visuels »,. www.onisep.fr. Adresse : https://www.onisep.fr/inclusion-et-handicap/mieux-vivre-sa-scolarite/differentes-situations-de-handicap/scolarite-et-troubles-visuels/definition-des-troubles-visuels [Consulté le : 8 juin 2023].
Régis Kern, 2016, « CARTOGRAPHIE ET MALVOYANCE DU PAPIER AU NUMÉRIQUE »,. Comité Français de Cartographie (CFC), vol. , n° 229‑230, p. 167‑174.
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